De son vrai nom Abderrahmane Amrani (1926-1980), Dahmane El Harrachi est bien plus qu’un chanteur : il est le poète de l’exil, un artiste qui a donné une voix aux Algériens déracinés en France. Sa musique, à la croisée du chaâbi traditionnel et des thèmes sociaux modernes, a créé un pont culturel unique. C’est sa chanson emblématique, Ya Rayah (« Celui qui s’en va »), qui a cimenté son statut d’icône internationale. Découvrez la vie, l’œuvre et l’héritage durable de cet artiste dont la voix rocailleuse continue de résonner dans les cœurs.
I. Biographie : D’El-Biar aux cafés-concerts de Paris
Des racines algéroises et chaouis
Abderrahmane Amrani, surnommé Dahmane, naît le 7 juillet 1926 dans le quartier d’El-Biar à Alger. Il est le quatrième d’une famille de onze enfants. Ses origines remontent au village chaoui de Djellal (Khenchela), d’où son père, muezzin à la Grande Mosquée d’Alger, est originaire. Cette atmosphère imprégnée de religiosité et de mélodies sacrées forge le caractère musical de Dahmane. Après avoir déménagé à Belcourt, puis dans le quartier populaire d’El-Harrach, il adopte le surnom qui le rendra célèbre :
El Harrachi.
Dans sa jeunesse, Dahmane exerce divers métiers, dont cordonnier et receveur de tramway sur la ligne reliant Maison Carrée à Bab El Oued, tout en s’initiant au banjo. Il est très tôt influencé par les maîtres du chaâbi de l’époque, notamment Khelifa Belkacem, dont il interprète les chansons dès l’âge de 16 ans.
L’exil et la poésie des faubourgs

En 1949, à l’instar de nombreux compatriotes, Dahmane El Harrachi quitte l’Algérie pour tenter sa chance en France. Il s’installe d’abord à Lille et Marseille avant de poser ses valises à Paris. Il trouve rapidement sa place dans les cafés maghrébins de la capitale, qui, en pleine guerre d’Algérie, sont des lieux de vie et de rencontre pour la diaspora. Dahmane se produit au célèbre Café des Artistes, rue de Charonne, dès 1952, et côtoie d’autres grands noms du chaâbi comme Cheikh El Hasnaoui.
C’est dans ces faubourgs parisiens qu’il trouve son inspiration. Loin des thèmes traditionnels des qasidates, il écrit ses chansons dans de petits carnets, abordant les thèmes de l’amitié, de la famille, de la morale et surtout, du vécu des travailleurs immigrés et du mal du pays. Cette approche novatrice lui permet de moderniser le genre chaâbi en le rendant plus direct et accessible.
II. L’Œuvre et son héritage
Dahmane El Harrachi est reconnu pour avoir apporté une « seconde révolution du chaâbi » après l’œuvre fondatrice d’El Hadj M’Hamed El Anka. S’il a conservé les lignes mélodiques de la tradition, il s’est distingué par l’utilisation d’un langage simple et compréhensible par toute la communauté maghrébine. Son répertoire est estimé à environ 500 chansons, un témoignage de son immense créativité.
Ya Rayah, l’hymne planétaire de l’exil
La chanson la plus célèbre de Dahmane El Harrachi est sans conteste Ya Rayah. Enregistrée en 1973 sur un 45 tours, cette ballade est un dialogue entre le chanteur et un ami sur le point de partir. Le refrain, «
Ya rayah win msafar trouh taâya wa twali » (« Ô toi qui t’en vas, où pars-tu? Tu finiras par revenir »), est devenu un véritable manifeste de la condition de l’exilé et de la douleur du déracinement. La chanson évoque la nostalgie, l’amertume du temps perdu et le fatalisme face au destin.
Le titre a connu un succès international en 1997, lorsque le chanteur franco-algérien Rachid Taha en a réalisé une reprise rock, avec des arrangements modernes. Cette nouvelle version est entrée dans le Top 50 français et a fait découvrir Dahmane El Harrachi à une nouvelle génération, bien au-delà des frontières de la musique chaâbi.
Mazalni Maak et la légende de la mandole japonaise
Parmi ses autres succès, Mazalni Maak (« Je suis encore avec toi ») est une chanson emblématique. Ses paroles évoquent la persistance d’un amour ou d’un sentiment malgré l’absence et la distance. Ce morceau est souvent associé à la légende d’une « mandole japonaise », qui aurait été offerte à Dahmane par un admirateur et aurait donné à la chanson son timbre si particulier. Bien que cette anecdote ne soit pas documentée par les sources, elle est devenue un mythe culturel qui illustre la dimension poétique du parcours de l’artiste.
Mort et postérité
Le parcours de Dahmane El Harrachi s’achève tragiquement le 31 août 1980 dans un accident de voiture à Aïn Bénian, près d’Alger, alors qu’il rentrait d’un spectacle. Il est enterré au cimetière d’El Kettar à Alger, aux côtés de nombreux autres dignitaires et artistes. Son héritage perdure à travers son fils, Kamel El Harrachi, qui continue de perpétuer son œuvre, notamment sur l’album hommage
Ghana Fenou en 2009.
III. Discographie sélective
Le catalogue de Dahmane El Harrachi est impressionnant, avec une production s’étendant sur plusieurs décennies. Le tableau ci-dessous répertorie quelques-uns de ses disques les plus notables et souvent réédités.
Année | Disque | Format | Label |
1973 | Elli Fat Mat / Ya Rayah | Single 45 tours | Pathé |
1991 | Le Chaâbi, Vol. 1 | Compilation CD | Club du Disque Arabe |
1996 | Wallah Madrite | Album | Non spécifié |
2009 | Ghana Fenou (par Kamel El Harrachi) | Album Hommage | Non spécifié |
2010 | Dahmane El Harrachi | Compilation 2 CD | Non spécifié |
2013 | Best Of | Compilation | MLP |
IV. FAQ (Foire aux questions)
Question | Réponse |
Que signifie la chanson « Ya Rayah »? | Le titre « Ya Rayah » se traduit littéralement par « Celui qui s’en va ». La chanson, écrite en 1973, exprime la nostalgie et les difficultés de l’émigration, un thème universel qui a fait d’elle un hymne pour la diaspora algérienne. |
Où est enterré Dahmane El Harrachi? | Dahmane El Harrachi est décédé dans un accident de la route le 31 août 1980 à Aïn Bénian, près d’Alger. Il est inhumé au cimetière d’El Kettar à Alger. |
La reprise de Rachid Taha est-elle un succès? | Oui, la version rock de Ya Rayah par Rachid Taha en 1997 a connu un succès planétaire. Elle est entrée dans le Top 50 français et a permis de faire découvrir l’œuvre de Dahmane à un public plus large. |
Combien de chansons a écrites Dahmane El Harrachi? | On estime que Dahmane El Harrachi a écrit près de 500 chansons, abordant des thèmes variés allant de la condition des immigrés à la critique sociale. |
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