1. Naissance du rail Algerien (1857-1945)
Le 8 avril 1857, un décret de Napoléon III lance la construction de 1 357 km de voies ferrées en Algérie : l’administration coloniale veut relier Alger, Oran et Constantine, exporter vins, céréales et minerais. Moins de trois ans plus tard, la première ligne Alger–Blida (62 km) ouvre ses portails de gare le 8 septembre 1862.
Trois vagues de chantiers (plan Freycinet de 1879, extensions 1907-1946) portent le réseau à 5 015 km en 1945 . Signe de modernité : en 1948 le parc moteur est déjà 100 % diesel, record mondial alors que la vapeur règne encore en Europe.
2. Indépendance, crise, survie (1962-2000)
En 1963, la SNCFA cède la place à la SNTF, nouvelle société nationale. Mais après un sursaut de modernisation (203 km posés de 1976 à 1986), la crise pétrolière et l’instabilité des années 1990 entraînent l’abandon de multiples petites lignes ; le réseau exploité tombe à ≈ 3 500 km. Les cars supplantent le train ; le mot « oasis express » disparaît du langage populaire.
3. Le grand réveil (2005-2024)
3.1 Un plan titanesque
Créée en 2005, l’ANESRIF orchestre un schéma directeur visant 12 500 km en 2030 . Plus de 1 000 km sont mis en service en quinze ans : ligne minière Béchar (2009), pénétrante Alger–Touggourt (2019), tronçons de la rocade des Hauts-Plateaux Tissemsilt–M’Sila (2022) et Saïda–Tiaret (2023).
« On n’a jamais autant posé de rails dans le désert qu’en ce début de XXIe siècle. »
— Ingénieur ANESRIF rencontré sur le chantier de la rocade des Hauts‑Plateaux
3.2 Portrait-robot 2024
| Indicateur (2024) | Valeur | Source |
|---|---|---|
| Longueur de lignes exploitées | 4 498 km | sntf.dz |
| Voies électrifiées | 480 km | SNTF |
| Voies totales (track-km) | ~6 300 km | SNTF |
| Vitesse moyenne voyageurs | 80-120 km/h | SNTF |
| Part modale fret | 5 % (objectif 17 %) | SNTF |
La dorsale historique (rocade nord) dessert 70 % de la population ; la nouvelle rocade des Hauts-Plateaux maille l’intérieur. Seulement 11 % du linéaire est électrifié, mais la signalisation ERTMS équipe déjà Alger–Blida.
4. Cap 2030 : 12 500 km sur trois fronts
4.1 Les LGV naissantes
- Oran – Maghnia (200 km, 220 km/h) : coût > 2 Mds €, mise en service 2027 espérée .
- Annaba – Tabarka (90 km côté algérien) : études en cours pour compléter le corridor Trans-Maghreb.
4.2 Corridors miniers & Sahara
Le gisement de fer Gara Djebilet (Sahara occidental) justifie une nouvelle ligne Béchar – Tindouf – Gara Djebilet : 1 000 km ; premier tronçon Bechar-Abadla inauguré en avril 2025 APS. D’autres axes visent le phosphate (Tébessa – Annaba) et le pétrole (Ghardaïa – Hassi Messaoud).
4.3 Réseaux suburbains et électrification
Objectif : électrifier 50 % du réseau et doubler 600 km de voies sur la façade nord. De nouvelles rames Coradia électriques sont commandées, les gares d’Alger – Agha et d’Oran sont réaménagées façon « hub multimodal ».
| Projet-clé | Longueur | Budget estimé | Échéance |
|---|---|---|---|
| Rocade des Hauts-Plateaux (soldes) | 900 km | 5 Md € | 2028 |
| Corridor Gara Djebilet | 1 000 km | 4 Md $ | 2029 |
| LGV Oran-Maghnia | 200 km | 2 Md € | 2027 |
| Électrification lot 1 | 1 500 km | 1,2 Md € | 2030 |
5. Duel chiffré avec les réseaux voisins et africains
Le graphique ci-dessus compare les longueurs (route-km). Pour mémoire :
| Pays (2024) | Lignes exploitées | LGV service | % électrifié | Source |
|---|---|---|---|---|
| Algérie | 4 498 km | 0 | 11 % | sntf.dz |
| Maroc | 2 295 km | 186 km (Al Boraq) | 64 % | ONCF |
| Tunisie | 2 165 km | 0 | 15 % | Wikipédia, l’encyclopédie libre |
| Égypte | 5 500 km | 0 (2 000 km en chantier Siemens) | 5 % | Wikipédia, l’encyclopédie libre |
| Afrique du Sud | 20 247 km | 0 (80 km suburbain rapide) | 40 % | Wikipédia, l’encyclopédie libre |
| Éthiopie | 759 km | 0 | 100 %* | Wikipedia |
*une seule ligne électrifiée Addis-Djibouti.
Lecture rapide
- Quantité vs. qualité : avec 12 500 km, l’Algérie dépasserait le Maroc, talonnerait l’Égypte et resterait derrière l’Afrique du Sud, mais viserait un standard UIC électrifié, là où l’Afrique du Sud est encore majoritairement voie étroite diesel.
- Grande vitesse : seul le Maroc roule déjà à 320 km/h ; l’Égypte sera le 2ᵉ pays africain vers 2028 ; l’Algérie espère ouvrir sa première LGV juste après.
- Part électrifiée : le Maroc fait la course en tête, l’Éthiopie affiche 100 % grâce à sa seule ligne neuve, l’Algérie doit passer de 11 % à 50 % pour rester compétitive.
6. Les défis qui restent sur la voie
- Financement : la facture totale excède 30 Md $ ; hydro-revenus, emprunts chinois (Gara Djebilet) et partenariats germano-turcs pour la signalisation devront coexister.
- Climat désertique : rails chauffés à 55 °C, vents de sable ; des géogrilles stabilisent déjà le ballast dans les Oueds.
- Maintenance : l’exemple sud-africain (vandalisme, vols de câbles) sert d’avertissement. La SNTF crée un corps de « gendarmes du rail ».
- Formation : 4 000 conducteurs et mainteneurs supplémentaires à former d’ici 2030 ; un campus ferroviaire ouvre à Sétif en 2026.
7. Anecdotes qui font vibrer la loco
- Le dîner‐wagon « Menu Sahara » de la ligne Touggourt comportait un couscous aux dattes que nulle autre compagnie ne proposait.
- En 1951, la section Souk Ahras–Tébessa fut l’une des premières électrifiées en Afrique (3 kV CC) pour convoyer du phosphate, tout en gardant la traction vapeur en secours – un « mix énergétique » avant l’heure.
- Le viaduc d’El Ourit près de Tlemcen (1882) a inspiré le pont de Brooklyn ; l’ingénieur de Ferjol a ensuite émigré aux États-Unis.
8. Conclusion : le serpent de fer muera-t-il ?
De la « voie coloniale » à un maillage national high-tech, l’Algérie aura parcouru deux révolutions ferroviaires en moins de deux siècles. Si l’objectif de 12 500 km en 2030 se concrétise, elle signera l’une des expansions les plus rapides de la planète, desservira 48 wilayas sur 58 et reliera enfin l’Atlantique, la Méditerranée et le Sahara par le rail. La plus belle gare pourrait bien être la suivante : celle où l’on annoncera « Train grand-sud pour Tamanrasset, direct, voie 1 » – et le mot oasis express reprendra vie.
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